Développer la synthèse à haute pression de nouveaux matériaux en exploitant pour la première fois une propriété originale de l’ammoniac - Yann Le Godec
Entretien avec Yann Le Godec, porteur de projet doctorant 2023, de l'Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie (IMPMC).
Un projet qui concerne la synthèse sous haute pression
Le projet de recherche concerne la synthèse sous haute pression qui ouvre l’accès à une toute nouvelle chimie des éléments : elle permet aujourd’hui de générer des pressions dans la gamme du mégabar (1 MBar = 1x106 atm) conduisant à des énergies de compression comparables à celles des liaisons chimiques. Ainsi, au niveau international, un nombre important de nouveaux nitrures et d’hydrures ont été synthétisés au cours de la dernière décennie à des pressions comprises entre 50 et 250 GPa (1 GPa = 1x104) et à des températures élevées à l’aide d’une cellule à enclumes de diamant chauffée par laser. De telles synthèses exploitent la réactivité induite par la pression aux conditions ambiantes d’éléments très stables tels que N2 ou H2 et des métaux nobles comme le Platine - Pt). Ces nouveaux composés formés à haute pression appartiennent à la classe des matériaux stratégiques très recherchés pour leurs applications de stockage d’énergie et pour leurs éventuelles propriétés supraconductrices à haute Tc.
Dans la continuité de ces thématiques, l’objectif de notre projet est de développer la synthèse à haute pression de nouveaux hydrures métalliques en exploitant pour la première fois la très haute réactivité de l’ammoniac. Cette nouvelle méthode devrait permettre d’élaborer de nouveaux composés mais aussi de réduire les conditions de synthèse (P,T). Jusqu’à présent les hydrures synthétisés sous hautes pressions ont été principalement obtenus par réaction directe des métaux avec H2 dans les cellules à enclume de diamant selon des méthodes « cook and look(1) ». Nous comptons exploiter la plus forte réactivité du NH3 pour renforcer la diffusion de H au sein du métal afin de synthétiser des hydrures métalliques innovants MHx avec une forte concentration d’hydrogène (x>1) et à des conditions de pression de synthèse douces (<20 GPa) compatibles avec la synthèse dans des presses gros volumes.
En outre, nous mènerons des expériences de diffraction des rayons X résolues dans le temps (notamment sur des sources XFEL(2)) pour étudier les mécanismes de diffusion de l’hydrogène dans le métal et mieux comprendre les mécanismes de réaction, la cinétique associée et déterminer les paramètres optimaux de synthèse (P,T). Nous développerons une nouvelle technologie haute pression pour la synthèse de ces nouveaux hydrures métalliques dans une presse gros volume afin de caractériser pleinement leurs propriétés physiques et chimiques. Cette combinaison de technologies de pointe innovantes combinée à une collaboration entièrement nouvelle entre deux équipes complémentaires de l’IMPMC initiera une nouvelle thématique matériaux prometteuse visant à obtenir des hydrures métalliques exceptionnels et à les breveter au sein de l’iMAT.
Une nouvelle collaboration au sein de l’IMPMC
Le projet est issu d’une collaboration interdisciplinaire entre 2 équipes différentes du même laboratoire : DEMARE et PHYSIX, toutes deux à l’IMPMC.
D’un profil plus chimiste dans le groupe DEMARE, je travaille depuis 20 ans dans la synthèse Haute Pression de nouveaux matériaux dans une gamme de pression inférieure à 20 GPa en utilisant des presses gros-volume (presse Paris-Edimbourg ou multi-enclumes). J’ai déjà développé par le passé une technique de chargement d’ammoniac pour des expériences à haute pression et haute température (HP-HT) de grand volume où la réaction sous HP-HT de NH3 (utilisé comme solvant) avec du bore amorphe réduit d’un facteur 3 les conditions de pression pour la synthèse du nitrure de bore cubique (c-BN), un composé ultradur stratégique synthétisé généralement à 6 GPa en industrie avec un solvant métallique.
Ma collègue Sandra Ninet, physicienne dans le groupe PHYSIX, est une grande spécialiste de NH3 sous pression en cellule à enclumes de diamant (CED). Elle a en particulier mis en évidence des états spectaculaires à HP-HT tel que l’ammoniac superionique : une glace conductrice protonique qui pourrait être présente dans les planètes glacées comme Neptune. Depuis 2 ans, Sandra a initié un nouvel axe en suivant la réactivité de NH3 avec des métaux CED à l’aide d’expériences de diffraction résolues en temps, au XFEL européen à Hambourg. Cette nouvelle source de rayons X pulsés et très intenses est révolutionnaire pour la synthèse HP car elle donne accès à la cinétique de réactions, même en conditions extrêmes.
Ces expériences pionnières, soutenues par Sorbonne Université (Emergence) et le CNRS (Tremplin), lui ont permis d’élaborer de nouveaux composés ouvrant de nouvelles perspectives de synthèse en conditions douces, en presse gros volume, que nous mettrons en œuvre dans notre recherche. Si nous n’avons jamais travaillé ensemble par le passé, cette complémentarité de compétences et cette alliance entre chimie et physique permettent d’aborder ce nouveau projet très ambitieux avec confiance et enthousiasme.
Une doctorante pilotera le projet
Nous avons diffusé une annonce sur plusieurs listes de diffusion nationales et internationales et opéré une première sélection d’une dizaine de candidatures. Après examen approfondi des dossiers, nous avons retenu 4 candidats pour l’oral et avons finalement retenu Mme Gisèle De Lima Hippler. Gisèle est une brilliante étudiante brésilienne qui possède des connaissances approfondies aussi bien dans le domaine de la science des matériaux que dans celui des technologies des hautes pressions associées aux grands instruments. Ses compétences et son enthousiasme pour notre thématique en font la doctorante idéale pour mener à bien ce projet.
L’appel à projet de l’institut de science des matériaux
L’iMAT, par sa structure regroupant plusieurs disciplines scientifiques qui font la science des matériaux, par son ambition de développement de nouvelles technologies et de nouveaux matériaux innovants, nous semblait la structure idéale pour développer cette ambitieuse recherche, originale et définitivement pluridisciplinaire. A l’échelle de la Faculté des Sciences et Ingénierie, iMAT permet de mettre en valeur des convergences de compétences et ainsi d’ouvrir de nouvelles thématiques originales.